Libération
QUOTIDIEN PREMIERE EDITION
TELEVISION,
mercredi, 18 juillet 2001, p. 34

Documentaire Portrait du cinéaste finlandais, excentrique, désabusé, étonnamment démodé.
Kaurismäki nostalgie.
«Cinéma de notre temps: Aki Kaurismäki». Arte, 23h05.

AZOURY Philippe

Il y a dix ans à New York, on pouvait pousser à n'importe quelle heure de l'après-midi la porte d'un cinéma de Manhattan pour y voir Ariel, Leningrad cow-boys go to America ou la Fille aux allumettes. Aki Kaurismäki était alors l'équivalent européen d'un Jim Jarmusch, chacun de ses films était auréolé d'un accueil critique qui voyait dans le Finlandais le sauveur du ciné d'auteur, le David ironique qui battrait froid l'hégémonie du Goliath américain avec ses armes miniatures: grimaces burlesques, absurdité élégante, mutisme rigolard, orgie de trémas.

Lars von Trier, qui frayait dans les mêmes eaux, était loin derrière. Aujourd'hui, alors que son inspiration semble soudainement tarie ­ il n'a plus sorti de film depuis deux ans et demi, alors qu'il tournait si vite il y a dix ans que ses films faisaient embouteillage ­, on est presque surpris de voir Cinéma de notre temps lui consacrer un joli volet. Ses deux derniers opus pourtant, Au loin s'en vont les nuages et le somptueux Juha (le dernier film muet du siècle), sont parmi ses chefs-d'oeuvre. Le caractère un tantinet guindé de son maniérisme d'autrefois y laisse place à un éblouissement perpétuel, mais Kaurismäki excite désormais si peu le Landerneau cinéphile qu'aucun gamin de 20 ans inscrit en fac de cinéma cette année ne serait capable de le situer exactement sur la carte du Tendre. La première réussite de ce portrait, singeant au mouvement de caméra près la rigueur chiadée du maître d'Helsinki, signé Guy Girard, est de réveiller notre appétit assoupi. A trois minutes de la fin, on est déjà penché sur Pariscope, des fois qu'un cinéma du Quartier latin aurait la bonne idée de reprogrammer la Vie de bohème, J'ai engagé un tueur ou l'impayable Leningrad cow-boys meet Mooses. Il faut voir la gueule de cocker battu de ce type. Physiquement, c'est une sorte de croisement maxitête entre Philippe Noiret, Gainsbourg et Richard Brautigan, dont l'activité principale hors tournage est de siffler des ballons de blanc au Honolulu Café en balançant des horreurs sur l'humanité (qui devrait «disparaître tant elle nuit à sa propre évolution») tout en s'avouant pas particulièrement en grande forme («Je vais crever») après avoir égrené un à un les résultats de Formule 1 et en exhibant chacune des babioles fétichistes inutiles (chapeaux en tout genre, pommes de douche, tronçonneuses, zincs de bar...) qui infestent son appartement en même temps que sa cervelle en bataille, tous deux rangés comme une vieille armoire qu'il serait grand temps de rouvrir. Voilà, le ver est dans le fruit. Kaurismäki le démodé nous manque.

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